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Le village de Rachecourt en Gaume
Texte rassemblé et mis en forme par Claude Feltz
Quelque part à l’extrême sud de la Belgique, non loin de la frontière avec la France, dans une région que la géographie a nommé « Lorraine belge » et plus précisément dans sa partie romane dont les habitants se disent les « Gaumais », se situe le village de « Rachecourt-en-Gaume », appellation complice pour notre jumeau homonyme haut-marnais.
Rachecourt et son paysage
Le village est blotti dans la vallée du Ruisseau de Haza, affluent de la Vire. Cette vallée creusée dans le revers de la Cuesta du Lias moyen en présente les principales caractéristiques paysagères. Le paysage de l’Entre Vire et Ton est caractérisé, en effet, par son système de terrasses anti-érosives (« terrassettes» pour les géomorphologues) formant des parcelles allongées – champs en lanières – que séparent, dans les versants, des talus consolidés par les racines profondes du noisetier. Finage caractéristique de l’openfield communautaire qui se met en place au Moyen Age, le territoire du village est bordé à son pourtour par les anciens bois communautaires, devenus communaux à la fin du 19e siècle, dont certains noms manifestent les essences forestières dominantes du lieu (au Chenoi – chêne, au Fays – fagus-hêtre, à l’Aunou – aulne,…). Entre les bois périphériques et le village avec ses maisons accolées, leurs jardins et la ceinture de vergers, s’étendaient les champs en lanières de l’ancienne polyculture céréalière à labour attelé.
Aujourd’hui les champs labourés ont cédé la place aux prairies, sauf sur les sommets des collines qui offrent des espaces plus plats et où subsistent quelques cultures, essentiellement fourragères.
La déprise agricole précoce et la difficulté d’exploitation dans les versants avaient entraîné, dès la dernière guerre, la plantation de nombreuses parcelles par de l’épicéa, ce qui a conduit à refermer petit à petit le paysage. Leur exploitation actuelle conduit à nous faire redécouvrir des vues longues pendant longtemps bouchées.
La forme du village se rattache à la structure de l’openfield de l’Est de la France et de la Lorraine en particulier. C’est pourquoi on a appelé « Lorraine belge » cette partie belge du Bassin parisien caractérisé par sa succession de côtes (cuestas géographiques) et de manière générale par un habitat rural strictement groupé et des villages dits « en rue » formés par des maison jointives comme dans toute la Lorraine.
Pour cela, le Rachecourtois belge n’est pas dépaysé quand il se rend chez ses amis haut-marnais dans la mesure où il ne fait que traverser la grande région géographique à laquelle il appartient.
Origine (côté gaumais) du nom que nous partageons : Rachecourt
L’actuel « ratch’cou » en patois gaumais connaît de nombreuses formes antérieures : le « cartulaire » de TANDEL montre que de RAGECURT en 1235, RAGECORT en 1255, il évolue progressivement vers REGECOURT (1275), RAIGECORTH (1281), tout en passant par les diverses formes germanisées de RES(S)IG (1281) et de REISHOVE (1287) RESAUWE (1480), en latin REGISCURIA (1570) pour adopter dès 1571 l’orthographe moderne de RACHECOURT (PRAT – Histoire d’Arlon).
Selon TANDEL (1889, pp 500-507 citant PRAT et DELAFONTAINE), le préfixe Rache dériverait des vestiges d’un vieux nom propre, Racca ou Racco. Dans Ragecort, on découvre aussi le mot celtique «Or» qui décrit un endroit entouré de hauteurs et dépeint d’ailleurs assez bien le site géographique du lieu. Autre hypothèse étymologique de DELAFONTAINE: « lieu où l’on rendait la justice ». Plus récemment, dans son « Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles » JESPERS (2005) propose l’origine de « ferme » ou « terre » de « Radagis »
Le constat doit donc être fait que les trois versions du nom – wallonne, germanique et latine – coexistèrent longtemps exprimant le caractère de frontière et terre commune de Rachecourt, finalement inscrite dans le Duché de Luxembourg, à la limite entre sa partie romane dite « quartiers wallons » et germanique du Pays d’Arlon.
Rachecourt et son histoire ancienne
Cette origine bien lointaine d’un établissement humain est confortée par le fait que le territoire de Rachecourt possède deux « mardelles » (habitations celtes partiellement enfoncées dans le sol) repérées par l’abbé LOËS (compte-rendu du XlVe Congrès archéologique d’Arlon en 1900).
De même, des traces de «villae» romaines ont été retrouvées à Rachecourt, une exploitation agricole se situait au lieu-dit «A la Cour», une autre en bas de «La Fosse».
A la période Franque, le territoire est toujours occupé ainsi qu’en témoigne la présence d’un cimetière mérovingien.
L’abbé THIERY, dernier curé résident de Rachecourt et historien local, à qui l’on doit son « Rachecourt aux temps anciens », suggère que, après le rattachement à l’église primaire de Mont-Saint-Martin (631), l’édification de Rachecourt en paroisse se situe aux environs des années 1060. Cette période du Moyen Age constitue en effet celle de la structuration du territoire en villages et paroisses de communautés agricoles multifamiliales qui a créé au long du 2e millénaire le site du village d’aujourd’hui. Dès le 11e siècle, Rachecourt est en effet reliée à la Chatellenie de Longwy. Le 1er octobre 1255, Rachecourt et Meix-le-Tige (mais aussi Saint-Léger et Aubange) deviennent terres communes au Luxembourg et la Lorraine.
C’est vers 1280 que Ferry III de Lorraine met la chatellenie de Longwy au droit de Beaumont et qui, le 30 septembre 1292, vendra à Henri III, comte de Bar (le-Duc), le château et la chatellenie de Longwy, dont Rachecourt fait partie.
En 1504, la famille de Nothum s’établit à Rachecourt et en 1541, Jean Huart II de Nothum est anobli par Charles Quint. En 1561, Jean II de Naves s’intitule Seigneur de Rachecourt. En 1570, le village compte 100 communiants (personnes en âge de « faire leurs Pâques soit âgées d’au moins 9 ans environ) et le curé Messire Jean Mathieu dénonce la pauvreté de sa paroisse. En 1571, Clément de Nothum, écuyer, Seigneur de Rachecourt, demande l’autorisation d’ériger et de construire un moulin à blé. C’est de 1574 que date la construction originelle de l’actuel moulin de Rachecourt. Cette date est corroborée par un millésime de la même année dans un piédroit d’une porte maintenant intérieure du moulin flanqué de la croix de Lorraine exprimant son rattachement de l’époque.
En 1602, Rachecourt fait son entrée dans les Pays-Bas, perdant sa qualité de « terre commune » avec la Lorraine, mais ce 17e siècle sera pour Rachecourt, comme pour toute notre région de frontière, un « siècle de malheurs ». En 1611, le village compte 140 communiants sous la houlette du curé Martin Valet, qui, en 1628, se plaint que « ses paroissiens ne sont pas suffisamment dociles et que l’église est en mauvais état ». La guerre de 30 ans (1618-48) et les passages successifs des armées sur nos frontières, qui se poursuivront jusqu’à la Paix d’Utrecht en 1713, engendrent un siècle de pillages et de famines, important avec eux des maladies contagieuses : la grande peste de 1636.
Par analogie avec les villages voisins, on estime que la population en fut réduite de trois quart de ses effectifs.
Le 18e siècle sous la bannière autrichienne ramène la Paix et avec elle le développement. Les millésimes frappant les linteaux de portes d’entrée des maisons sont nombreux à partir de 1730 et pour tout le 18e siècle, attestant de ce renouveau. C’est cette époque qui va conférer sa structure actuelle au village. L’église est entièrement reconstruite de 1721 à 1727, à l’initiative de la Prieure de Marienthal, Marie-Catherine de Manteville, que commémorent deux cartouches repris de cette ancienne église et placés de part et d’autre de la porte de l’église actuelle. En 1753, Rachecourt compte 270 communiants et environ 400 habitants. Le territoire comprend deux chapelles, l’une dédiée à Saint Antoine de Padoue, sur le Haut de Pryre et l’autre à l’entrée du village, à l’orient, dédiée à St Philippe et St Jacques.
Le 2 avril 1794, les Révolutionnaires français occupent le Luxembourg et le 19 octobre suivant, Luxembourg capitule. D’autrichien, le Duché de Luxembourg inclus dans les Pays-Bas devient pour un temps le Département des Forêts dans le territoire français.
La population rachecourtoise depuis l’Ancien Régime
Le dénombrement des feux de 1766 nous donne une bonne image de la population rachecourtoise à la fin du 18e siècle. Rachecourt de cette année-là compte 404 habitants, répartis dans 105 maisons. Plus de la moitié de la population a moins de 16 ans. Les professions des habitants reflètent un village agricole « autarcique » : 1 meunier, 19 laboureurs (propriétaires d’un cheval et d’une charrue), 47 manouvriers agricoles, 10 tisserands, 6 charbonniers (producteurs de charbon de bois pour la sidérurgie préindustrielle), 3 tailleurs d’habits, 2 savetiers, 2 maréchaux, 1 cloutier, maçon, chaudronnier, cordonnier, brasseur, charron, menuisier, bourrelier, varcolier…
Après l’indépendance de la Belgique et la partition du duché de Luxembourg en une province belge et un grand-duché autonome, la composition sociale de Rachecourt n’a pas beaucoup changé mais la population a augmenté (646 habitants en 1846) et elle atteindra un maximum en 1900 avec 728 habitants. Les difficultés de l’agriculture et la proximité des usines sidérurgiques en développement sur les mines de fer voisines font que les villages gaumais, comme toute la Lorraine rurale française du nord, fournissent la première immigration ouvrière dans le bassin de Longwy tout proche. Combien de familles rachecourtoises n’y ont-elles pas de cousins ou cousines dont le lien de parenté devient de plus en plus lointain avec le temps.
Avec le 20e siècle et la mobilité à vélo après la guerre 14-18, Rachecourt devient progressivement un village ouvrier, faubourg lointain de Longwy puis de l’ensemble du bassin frontalier franco-belgo-luxembourgeois. Après 40-45 les liaisons par autobus conduisent les ouvriers sidérurgiques à leur usine : à côté des cloches traditionnelles, la vie du village est dorénavant rythmée par la sirène de chaque « pose » et le va-et-vient des bus des usines. Si bien qu’en 1960, 80% de la population active travaille dans la sidérurgie proche – là aussi passé commun avec Rachecourt-sur-Marne.
Les fermetures subites (septembre 1977 pour Athus) puis massives (le bassin de Longwy fermé au début des années ‘80) ou progressive (la régression de l’emploi sidérurgique grand-ducal) renvoient les sidérurgistes chez eux et c’est le choc social des années ‘80, dans toute la région dont à Rachecourt.
Heureusement, la crise de la décennie 80 est derrière nous et les années ‘90 marquent un redéploiement du village : redéveloppement économique, avec la croissance et la forte offre d’emploi au GD Luxembourg tout proche, redéveloppement démographique avec l’accueil de population nouvelle tant dans le lotissement communal du Bochet qu’en remplacement des personnes décédées dans les maisons anciennes du village.
Au 31 décembre 2009, Rachecourt compte donc 592 habitants occupant 264 maisons et les écoles du village ont retrouvé leur dynamisme avec 51 enfants dans les six années primaires et 39 dans les classes maternelles.
Rachecourt en Gaume est passé dans le 21e siècle comme un village résidentiel où il fait bon vivre, qui accueille des jeunes ménages et où ses jeunes prennent de nouvelles initiatives entrepreneuriales : une communauté villageoise de taille modeste, mais dynamique et soudée face à l’avenir.
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